Yuval Noah Harari : "Nous sommes juste une espèce de singe"

L'historien et professeur israélien Yuval Noah Harari, auteur de "Sapiens" à la Vrije Universiteit Brussel (VUB) à Anvers, Belgique le 27 janvier 2020 ©AFP - Kristof VAN ACCOM
L'historien et professeur israélien Yuval Noah Harari, auteur de "Sapiens" à la Vrije Universiteit Brussel (VUB) à Anvers, Belgique le 27 janvier 2020 ©AFP - Kristof VAN ACCOM
L'historien et professeur israélien Yuval Noah Harari, auteur de "Sapiens" à la Vrije Universiteit Brussel (VUB) à Anvers, Belgique le 27 janvier 2020 ©AFP - Kristof VAN ACCOM
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Comment nos ancêtres préhistoriques faisaient-ils l’amour ? Quelles étaient leurs croyances ? Comment éclairent-ils notre présent ? L'historien Yuval Noah Harari, auteur du best-seller "Sapiens", qui vient d’être adapté en BD chez Albin Michel, est l'invité exceptionnel des Matins de France Culture.

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Il est souvent décrit comme l’un des penseurs les plus influents de notre époque. Yuval Noah Harari, historien, professeur d’histoire à l’université hébraïque de Jérusalem, rendu célèbre depuis la publication en 2014 de son best-seller mondial Sapiens, une brève histoire de l'humanité est l'invité des Matins de France Culture. 

Guillaume Erner s'entretient avec l'universitaire qui murmure à l'oreille de la Silicon Valley à l’occasion de l’adaptation en bandes-dessinées de ce phénomène d’édition. Yuval Noah Harari co-signe Sapiens, la naissance de l’humanité avec le scénariste belge David Vandermeulen ainsi que le dessinateur français Daniel Casanave. Sortie en librairie début octobre 2020 aux éditions Albin Michel, cette BD nous embarque sur la trajectoire d'Homo Sapiens de manière ludique, érudite, et avec l'humour si cher au 9e art. 

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"Les Néandertaliens avaient des relations sexuelles avec les Sapiens"

"Nous sommes juste une espèce de singe et nous ne pouvons pas véritablement comprendre l'histoire de l'humanité si nous ne prenons pas en compte la biologie. On ne peut pas expliquer des choses comme la montée de la chrétienté ou la Seconde Guerre mondiale simplement par la biologie, mais d'un autre côté, si vous ignorez la biologie, vous ne pouvez pas rendre compte de l'évolution. On est au sein de cette pandémie, tout le monde le sait désormais, on ne peut pas comprendre le processus historique sans prendre en compte les virus et les pandémies, les facteurs écologiques et les animaux sauvages. Toute cette pandémie a débuté par une chauve souris et c'est une petite chauve souris qui a changé le cours de l'histoire."

"Nous commençons à avoir véritablement une vision de la vie sexuelle des êtres humains, des différentes espèces d'il y a des dizaines de milliers d'années. Si on parle de Néandertal, son image populaire a vécu une révolution extraordinaire au cours des dernières années. Jusqu'à il y a vingt ans, les Néandertaliens, c'étaient les archétypes de l'homme des cavernes. (...) Quand on appelle quelqu'un néandertalien, c'était une insulte. Ça veut dire que vous étiez stupide, brutal, primitif. Mais au cours des 20 dernières années, les chercheurs ont découvert que les Néandertaliens étaient des fabricants d'outils très élaborés, aussi élaborés que ceux de Sapiens. Ils étaient gentils les uns envers les autres. On a des preuves que les Néandertaliens aidaient les leurs qui étaient blessés, les vieux. (...) La plus grande découverte de ces dernières années, c'est que les Néandertaliens non seulement avaient des relations sexuelles avec les Sapiens, mais faisaient aussi des enfants ensemble, ainsi la plupart des êtres humains qui vivent aujourd'hui dans le monde comptent des gènes de Néandertaliens dans leur ADN." 

"Notre capacité à créer et croire dans des fictions nous permet de coopérer à grande échelle"

"Nous Sapiens, pensons que nous sommes différents, spéciaux. Parce qu'au niveau individuel, nous sommes plus malins, plus forts que certains animaux. Mais c'est une erreur totale. Au niveau individuel, je ne suis pas supérieur à Néandertalien, au chimpanzé ou à un éléphant, ou même à un cochon ! Sur une île déserte, je pense que le chimpanzé vivra beaucoup mieux que moi. En revanche, le grand avantage sur tous les autres animaux et aussi par rapport aux Néandertaliens, c'est que nous pouvons opérer en grand nombre, vraiment de façon illimitée comparé à eux. De ce que l'on sait, les Néandertaliens ont opéré à l'échelle de 20, 30, à 50 personnes au maximum. Notre espèce, Sapiens, a appris il y a des dizaines de milliers d'années à collaborer, coopérer par centaines et même par milliers. Aujourd'hui, nous pouvons coopérer en termes de millions ou de milliards. Pensez à un pays comme la Chine avec plus d'un milliard d'habitants, ou même la France avec 60 ou 70 millions d'habitants."

"Qu'est-ce qui rend possible la fait de pouvoir collaborer en un si grand nombre, de façon générale ou en entreprise? La réponse, c'est notre capacité à créer et à croire en des récits fictifs. La coopération est basée sur la croyance en des entités fictives, des récits fictifs. C'est beaucoup plus clair dans le cas de la religion. Vous devez convaincre un grand nombre de personnes à croire en votre histoire. Mais on ne peut pas convaincre un grand nombre de chimpanzés de se réunir pour construire une cathédrale ou partir en croisade en leur promettant que ce faisant, après leur mort, ils vont aller au paradis des chimpanzés et là, ils recevront beaucoup de bananes. Il n'y a que les êtres humains qui peuvent croire de telles histoires. C'est la raison pour laquelle les êtres humains ont des grandes religions qui ont construit des cathédrales et sont allés se battre au djihad et aux croisades. Mais ce n'est pas simplement la religion. Pensez à l'économie chinoise. Les grandes entreprises chinoises sont aussi des entités fictives, tout comme les dieux. Qu'est-ce qu'une entité comme Google et Facebook ou Peugeot, si vous ne pouvez pas le toucher ou la voir ? Donc aujourd'hui les entreprises raconte l'histoire d'une entreprise ou des entrepreneurs. Mais vous êtes convaincus comme tous les autres d'y croire. C'est ainsi que les entreprises sont créées dans les temps."

"L'important, c'est de se souvenir que les récits sont des outils pour nous aider à collaborer, à coopérer, pour surmonter les problèmes divers auxquels on doit faire face. La réalité la plus importante, c'est la réalité de la souffrance. Sans oublier que la souffrance est véritable, elle est réelle. Ce n'est pas une histoire. Parfois, la souffrance est générée par le fait que des gens croient à des histoires différentes. Mais non, la souffrance qui en résulte est vraie. (...) Il faut nous assurer que les récits que l'on nous raconte aident à libérer les gens de la souffrance au lieu de créer plus de souffrances inutiles."

"Sapiens est responsable des plus grandes extinctions de la mégafaune"

"Lorsque les êtres humains sont sortis de l'Afrique de l'Est, ce qui est véritablement notre habitat principal primaire, là où vont les Sapiens, ils causent l'extinction de toute la population humaine locale, comme les hommes de Néandertal, et ils causent aussi l'extinction de la plupart des grands animaux de ces zones là. La pire catastrophe s'est produite en Australie et en Amérique. En Australie, environ 95% des grandes espèces animales ont disparu. Mais alors, les êtres humains n'ont pas fait exprès, ils ne se rendent pas compte de ce qu'ils font en chassant, mais ils sont des idiots. Ils sont trop bons dans cette tâche. Ce sont les meilleurs chasseurs qui aient jamais existé sur la surface de la Terre. La taille était importante dans la survie. Mais une centaine d'Homo Sapiens peuvent coopérer et peuvent préparer des embuscades, construire des tranchées, etc... Là, vous ne pouvez rien faire. Vous êtes impuissant et votre taille devient un désavantage soudain. Ce ne sont pas les grands animaux qui ont survécu, mais les lapins, parce que les lapins ne font pas confiance à leur taille."

"Le grand danger, ce n'est pas le virus. C'est le fait que l'humanité elle-même ne coopère pas."

"Dans une perspective épidermique, le Covid est une pandémie plutôt moyenne. Si la mortalité est moins de 1% dans les zones les plus infectées, ce n'est pas la peste noire, ni la grippe espagnole de 1918 1919. Mais le grand danger, ce n'est pas le virus. C'est le fait que l'humanité elle-même ne coopère pas. (...) Nous avons la connaissance scientifique, le pouvoir technologique pour surmonter la pandémie. Le problème ne relève pas des connaissances. Nous n'avons pas la sagesse pour utiliser tout ce pouvoir dans la bonne direction. (...) Si nous réagissons en générant de la haine, de l'ignorance et de la rapacité, à ce moment là, il sera beaucoup difficile de s'occuper du virus. Cela va créer un monde violent, désuni et très appauvri. "

"Mais on n'est pas obligé de réagir de cette manière. On peut agir différemment. On peut réagir par passion, pas par la haine. En réalité, coopérer avec les étrangers au lieu de leur faire porter le chapeau, on peut agir avec générosité. On va trouver, réfléchir, partager ce que l'on trouve. Oui, on peut réagir aussi avec sagesse en utilisant les avancées de la science et cesser de répandre toutes ces théories conspirationnistes. (...) Si on réagit ainsi, il sera beaucoup plus facile de faire face à la crise actuelle. Et aussi nous serons beaucoup mieux préparés aux crises futures et beaucoup plus graves sur l'épidémie. Comme des crises à venir qui vont survenir bientôt, par exemple, la crise écologique et l'arrivée de technologies disruptive dérangeantes comme l'intelligence artificielle, qui vont désorganiser l'économie dans son ensemble, nos systèmes, nos marchés."

"Les religions n'ont pas un caractère éternel de violence ou de paix"

"Rien n'est prédéterminé. Je ne pense pas qu'il y ait un conflit inévitable entre les religieux et les laïcs. La religion n'est pas créée au paradis et  n'est pas une loi éternelle qui descend du ciel donné par les dieux aux hommes. (...) Ce sont les hommes qui ont créé la religion et elle a beaucoup changé au cours de l'histoire. La religion a survécu parce qu'elle a appris à s'adapter aux circonstances changeantes. Quel est le thème central de la religion juive aujourd'hui ? L'étude des Écritures dans la Bible, mais remontez à l'époque biblique, il n'y avait pas de synagogues, pas de yeshiva, pas de rabbin, il n'y avait même pas de bible. Maintenant c'est totalement différent. Il n'y a pas de temple, il n'y a pas de sacrifices animaux.  Il y a des gens qui étudient les écritures saintes invalidantes. Ils n'espèrent même plus que Dieu les protège des épidémies. C'est maintenant le boulot des médecins et des scientifiques. Sauf pendant des millénaires, pas simplement le judaïsme, mais quasiment toutes religions. Elles se concentraient dans une grande mesure sur la santé, sur la protection des gens, des maladies. Ce que faisait Jésus, c'était de guérir des malades. Or ces derniers siècles, les religions ont perdu ce rôle.  Aujourd'hui même des gens religieux, lorsqu'ils sont malades, ils vont à l'hôpital. Ils vont voir un médecin. Donc, le rôle des religions a changé."  

"La religion doit inspirer la paix et non pas la violence. (...) Je ne pense pas que les religions soient par nature violentes. On peut voir à travers l'histoire, la façon dont les religions ont changé de caractère et, par exemple, si vous remontez au Moyen-Age, la chrétienté était la religion la plus violente à la surface de la terre, qui persécutait le plus les autres. L'Islam était beaucoup plus tolérant. (...) Cela montre simplement que les religions n'ont pas un caractère éternel de violence ou de paix."

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